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La Phase Neuf était conçue pour provoquer une plus grande dispersion des ressources déjà diminuées de l’ennemi, et peser un peu plus sur sa machine de guerre grinçante. C’était, pour ainsi dire, l’une des plusieurs gouttes d’eau qui pouvaient faire déborder le vase.
Il s’agissait d’étendre véritablement la panique à toute la planète en la faisant passer des continents aux mers. Jaimec était particulièrement sensible à ce genre d’attaque. Sur un monde colonial peuplé par une seule race et une seule espèce, il n’y avait eu aucune rivalité nationale ni internationale ; aucune guerre localisée ; aucun développement des marines de guerre. Ce qui, sur Jaimec, ressemblait le plus à des forces navales, consistait en un certain nombre de vedettes rapides à armement léger utilisées uniquement comme garde-côtes.
Même la flotte marchande était réduite, suivant les critères terriens. Jaimec était sous-développée ; guère plus de six cents navires sillonnaient les mers de la planète le long d’une vingtaine de lignes bien déterminées.
Il n’y avait aucun bâtiment de plus de quinze mille tonnes. L’effort de guerre local n’en dépendait pas moins de façon critique des allées et venues de ces bateaux. Retarder leurs voyages, ou bouleverser leurs horaires, ou les bloquer dans un port, handicaperait considérablement l’économie jaimecaine.
Ce passage brutal de la Phase Cinq à la Phase Neuf signifiait que l’astronef terrien qui était en route devait transporter une cargaison de périballots qu’il larguerait dans les océans avant de repartir au plus vite. Le mouillage aurait certainement lieu de nuit et le long des lignes maritimes.
Au centre d’entraînement, James Mowry avait reçu des détails précis sur cette manœuvre et sur le rôle qu’il devait jouer. L’action était assez apparentée à ses méfaits précédents, car elle était destinée à forcer l’ennemi irrité à frapper dans toutes les directions à la recherche de ce qu’il ne pouvait trouver en un point précis.
On lui avait montré une coupe de périballot. L’appareil trompeur ressemblait à un fût d’essence ordinaire, un tube de six mètres jaillissant de son sommet. À l’extrémité du tube se trouvait fixé un bec évasé. Le fût contenait un mécanisme magnétosensible très simple. Tout ceci pouvait être produit à la chaîne et à bas prix.
Placé dans l’eau, le périballot flottait de telle sorte qu’environ un mètre cinquante de tube dépassait à la surface. Si une masse d’acier ou de fer s’approchait à quatre cents mètres, le mécanisme s’enclenchait et l’appareil s’enfonçait sous l’eau. Si la masse de métal s’éloignait, le périballot remontait prestement pour que son tube domine les vagues.
Pour atteindre le but recherché, il fallait à cet appareil une mise en scène et un éclairage. La première avait été préparée en permettant à l’ennemi de s’emparer des plans ultra-secrets d’un sous-marin miniature triplace, suffisamment petit et léger pour que toute une flottille puisse être transportée dans un seul astronef. Mowry devait maintenant fournir l’éclairage en s’arrangeant pour que deux ou trois navires coulent en mer après une explosion convaincante.
Les Jaimecains étaient aussi capables que quiconque d’ajouter deux à deux pour obtenir quatre. Si tout fonctionnait comme prévu, la seule vue d’un périballot inciterait tous les bateaux à fuir à l’abri en remplissant l’éther de leurs cris de terreur. Les autres navires qui apprendraient la nouvelle feraient de larges et longs détours, ou resteraient à quai. Les chantiers passeraient à toute allure de la construction et du radoub des cargos à la fabrication d’inutiles destroyers. D’innombrables jets, hélicos et même des éclaireurs spatiaux – se chargeraient de la tâche futile de patrouille des océans et de bombardement de périballots.
Le plus beau de la chose, c’était que peu importait que l’ennemi découvrît qu’il s’était fait avoir. Arrachez un périballot aux profondeurs, démontez-le, montrez à tous les pachas de la planète comment il fonctionne… et peu importerait. Si deux navires ont été coulés, deux cents autres peuvent très bien suivre. Un périscope est un périscope ; aucun moyen rapide de distinguer un vrai d’un faux ; et aucun capitaine sensé ne va risquer une torpille pour le découvrir.
Alapertane (Petite Pertane) était le plus grand et le plus proche port de Jaimec. Il se trouvait à quarante den à l’ouest de la capitale, à soixante-dix den au nord-ouest de la caverne. Population : un quart de million d’habitants. Il était très probable qu’Alapertane eût échappé à l’hystérie officielle, que sa police et son Kaïtempi fussent moins soupçonneux, moins actifs. Mowry n’avait jamais rendu visite à ce lieu, non plus donc que le Dirac Angestun Gesept. En ce qui concernait Alapertane, il risquait, a priori, assez peu d’ennuis.
Allons, Terra devait savoir ce qu’elle faisait, et il fallait obéir aux ordres. Il devait se rendre à Alapertane et accomplir sa tâche aussi vite que possible. Il irait seul, sans Gurd et Skriva qui, tant que duraient les recherches, demeuraient des atouts dangereux.
Mowry ouvrit un container et en sortit une épaisse liasse de documents qu’il feuilleta en contemplant les trente identités disponibles. Toutes étaient conçues pour s’appliquer à un travail spécifique, une demi-douzaine devant lui permettre de rôder du côté des docks et des quais. Il choisit les papiers qui faisaient de lui un petit fonctionnaire du Bureau planétaire des Affaires maritimes.
Il se prépara ensuite pour ce rôle ; ce qui lui prit une heure. Lorsqu’il eut fini, il était devenu un bureaucrate âgé, plutôt tatillon, qui vous regardait fixement à travers ses lunettes cerclées d’acier. Ceci fait, il s’amusa à se guigner dans un miroir métallique et à débiter des absurdités sur un ton ronchon caractéristique.
Des cheveux longs auraient parfait son apparence, puisqu’il portait toujours la coupe militaire de Halopti. Il fallait écarter la perruque ; à part les lunettes, les règles strictes du déguisement interdisaient tout ce qui pouvait être arraché ou soufflé. Il se rasa donc un peu le crâne pour suggérer une calvitie naissante, et ce fut tout.
Il se procura enfin une nouvelle valise, utilisa sa clé en plastique et l’ouvrit. En dépit de tous les risques qu’il avait courus – et qu’il allait prendre – c’était cela qu’il redoutait le plus. Il ne pouvait se débarrasser de l’idée qu’un bagage explosif était lunatique au plus haut point, et que plus d’une guêpe était retrouvée dans les régions infernales avec un fantôme de clé dans la main.
Dans un autre container, il prit trois mines à crampons — deux qu’il comptait utiliser, et une de rechange. C’étaient des objets hémisphériques dont l’anneau magnétique dépassait de la face aplatie et le mécanisme de retardement du côté arrondi. Chacune pesait cinq kilos – charge dont il se serait bien passé. Il les mit dans sa nouvelle valise, bourra une poche de billets de banque et vérifia son pistolet. Il actionna le container 22 et s’en alla.
Il en avait maintenant ras le bol de ce long voyage de la caverne à la route. Vu à travers une visionneuse holographique, cela semblait plutôt court, mais le périple était épuisant – surtout de nuit et avec un lourd fardeau.
Il atteignit sa voiture en plein jour, lança joyeusement la valise sur le siège arrière et regarda la route pour voir si elle était déserte. Le chemin était libre. Il courut à la voiture et se hâta de la garer au bord de la chaussée, puis il se précipita pour effacer les traces de pneus avant de se diriger enfin vers Alapertane.
Quinze minutes plus tard, il était forcé de stopper. La route était bloquée par un convoi de véhicules de l’armée qui roulaient et tanguaient en reculant un à un dans une trouée à la lisière de la forêt. La troupe en descendait et s’infiltrait entre les arbres pour se poster de chaque côté de la route. Une douzaine de civils maussades étaient assis dans un camion, gardés par quatre soldats.
Un capitaine s’approcha du véhicule de Mowry et lui demanda : « D’où vous venez ?
— Valapan.
— Où est-ce que vous habitez ?
— À Kiestra, à côté de Valapan.
— Où est-ce que vous allez ?
— Alapertane. »
Ceci sembla lui suffire. Il allait s’éloigner.
Mowry lui lança : « Qu’est-ce qui se passe, ici, capitaine ?
— Une rafle. On a rassemblé les froussards et on les ramène chez eux.
— Les froussards ? Mowry avait l’air époustouflé.
— Ouin. Il y a deux nuits, un tas de sokos dégonflés se sont taillés de Pertane et ont pris la clé des champs. Ils avaient peur pour leur peau, vu ? Il y en a eu d’autres hier matin. La moitié de la ville aurait disparu si on ne les avait pas coincés. Ces civils me rendent malade.
— Qu’est-ce qui les a poussés à s’enfuir ?
— Des bavardages. Il renifla d’un air méprisant. Rien que des bavardages.
— Mais il n’y a pas eu d’escapades à Valapan, avança Mowry.
— Pas encore » répondit le capitaine. Il s’éloigna et se mit à gueuler en direction d’un peloton trop lent.
Les derniers camions quittèrent la route et Mowry continua son chemin. De toute évidence, l’évasion de la prison avait coïncidé avec une sévère action gouvernementale à l’encontre d’une population trop nerveuse. La ville aurait, de toute façon, été cernée.
L’esprit de Mowry demeurait préoccupé par le sort de Gurd et de Skriva tandis qu’il continuait à rouler. Il traversa un village et eut la tentation fugitive de s’arrêter pour appeler leur numéro de téléphone et voir ce qu’on lui répondrait. Il se retint, mais stoppa tout de même pour acheter un journal du matin.
Peu de différences dans les nouvelles : l’habituel mélange de vantardises, de menaces, de promesses, de directives, et d’avertissements. Un paragraphe affirmait catégoriquement que plus de quatre-vingts membres du Dirac Angestun Gesept avaient été embarqués, « Y compris l’un de leurs prétendus généraux. Il se demanda quel malheureux avait reçu le fardeau de ce grade révolutionnaire. Rien à propos de Gurd ni de Skriva, et aucune nouvelle du colonel Halopti.
Il jeta le journal et reprit sa route. Peu avant midi, il atteignit le centre d’Alapertane et demanda à un piéton le chemin des docks. Quoiqu’à nouveau affamé, il ne prit pas le temps de s’offrir un repas. Alapertane n’était pas encerclée ; il n’y avait aucun contrôle surprise ; aucune voiture de patrouille ne l’avait arrêté et interrogé. Il estimait cependant plus sage d’investir immédiatement dans une situation qui risquait à tout moment de changer rapidement pour le pire, aussi se dirigea-t-il tout droit vers le front de mer.
Il gara sa dyno dans le parking privé d’une compagnie maritime, approcha à pied de la grille du premier quai, reluqua à travers ses lunettes le policier qui se tenait devant l’entrée et lui demanda : « Où se trouve le bureau de la capitainerie du port ? »
Le flic tendit la main. « Juste en face de la troisième grille. »
James Mowry s’y rendit, pénétra dans le bureau et tapota sur le comptoir avec l’impatience d’un vieillard pressé.
Un jeune gratte-papier réagit. « Vous désirez ? »
Mowry lui montra ses papiers et déclara : « Je désire savoir quels navires lèveront l’ancre avant l’aube, et à partir de quel quai. »
Obéissant, le commis sortit un long registre étroit qu’il feuilleta. Il ne lui vint pas à l’esprit de s’enquérir de la raison de cette demande. Un morceau de papier portant comme en-tête Bureau planétaire des Affaires maritimes le satisfaisait largement ; le dernier des imbéciles savait que ni Alapertane ni ses bateaux n’étaient menacés par les forces spakums.
« La destination aussi ? s’enquit le jeune homme.
— Non, ça n’a aucune importance. Je ne veux que le nom, l’heure de départ et le numéro du quai. » Mowry sortit un crayon et du papier et regarda par-dessus ses lunettes d’un air important.
« Il y en a quatre, lui apprit l’autre. Le Kitsi à la huitième heure, quai 3. L’Anthus à la huitième heure, quai 1. Le Su-cattra à la dix-neuvième heure, quai 7. Le Su-limane à la vingt et unième heure, au quai 7 aussi. Il tourna une page et ajouta : Le Mélami devait partir à la dix-neuvième heure, mais il est retenu par des ennuis de machines. Il aura sans doute plusieurs jours de retard.
— Celui-là n’a pas d’importance. »
Mowry partit, retourna à sa voiture, en sortit la valise et se dirigea vers le quai 7. Le policier à la grille jeta un coup d’œil à ses papiers et le laissa entrer sans discuter. Une fois passé, il marcha rapidement jusqu’au long hangar derrière lequel s’élevaient une série de grues et deux ou trois cheminées. Au coin du hangar, il se trouva face à la proue du Su-cattra.
Un regard lui apprit qu’il n’avait pour l’instant aucune chance d’y fixer une mine sans être aperçu. Le navire était à quai, écoutilles fermées, treuils silencieux ; mais de nombreux dockers chargeaient à la main les dernières cargaisons et poussaient des diables sur les passerelles. Un petit groupe de fonctionnaires rôdait et observait. De l’autre côté du bassin se trouvait le Su-limane, que l’on chargeait également.
Pendant un court instant, Mowry débattit en son for intérieur pour savoir s’il devait se rendre jusqu’à l’Anthus et au Kitsi. Le désavantage, c’était qu’ils étaient à des quais très éloignés ; alors qu’ici, il avait deux bateaux à portée de main. Et l’on devait également charger les deux autres.
Il semblait que, dans sa hâte, il fût arrivé trop tôt. Le mieux était donc de partir et de revenir lorsque dockers et fonctionnaires auraient disparu. Mais si le flic de la grille ou une patrouille des quais se montraient trop curieux, il serait difficile d’expliquer sa présence dans des docks déserts après la fin du travail. Toutes les excuses qu’il pourrait trouver seraient autant de révélations.
« J’ai un message pour le capitaine du Su-cattra.
— Ouin ? Quel est son nom ? »
Ou bien : « J’ai une liste rectificative à porter au Su-limane.
— Ouin ? Faites voir. Qu’est-ce qu’il y a… on ne la trouve plus ? Comment pouvez-vous la porter si vous ne l’avez pas sur vous ? Si elle n’est pas dans vos poches, elle est peut-être dans cette valise. Pourquoi vous ne regardez pas dans votre valise ? Vous avez peur de l’ouvrir, hi ? »
Quittant le bord du quai, Mowry dépassa l’extrémité de l’énorme hangar qui s’étendait tout le long de celui-ci. Ses portes coulissantes étaient entrouvertes. Il entra sans hésiter. Le mur opposé au bateau était tapissé de caisses de toutes tailles et formes concevables. L’autre côté était à moitié plein. À l’autre bout du hangar, se trouvait une série d’emballages cartonnés et de sacs gonflés que les dockers embarquaient sur le Su-cattra.
Mowry aperçut Mélami inscrit au pochoir sur la marchandise à côté de lui ; il jeta un œil en direction des débardeurs, s’assura qu’on ne l’observait point et se glissa derrière une grosse caisse. Bien qu’invisible à partir de l’intérieur du hangar, quiconque passerait devant les portes coulissantes pourrait le voir. Il tint sa valise devant lui et se fraya un chemin dans l’espace étroit qui séparait deux caisses, grimpa sur une autre en forme de cercueil et s’insinua dans le réduit sombre qui séparait la dernière pile du mur du hangar.
Il était loin d’être à l’aise. Il ne pouvait ni s’asseoir ni se tenir debout. Il dut rester plié en deux jusqu’à ce que, épuisé, il s’agenouille sur sa valise. Au moins était-il en sécurité. Le Mélami était bloqué et personne ne viendrait transbahuter sa cargaison pour le plaisir.
Il demeura en cet endroit pendant ce qui lui parut toute une journée tellement le temps lui sembla long. Des sifflets retentirent enfin et les bruits d’activité cessèrent à l’extérieur. À travers le mur du hangar, résonnèrent les pas des travailleurs qui s’en allaient. Personne ne s’était donné la peine de refermer les portes du hangar, et James Mowry ne put décider si c’était ou non une bonne chose. Des portes verrouillées auraient laissé entendre que le quai était abandonné, gardé par le seul flic de la grille. Ces portes ouvertes impliquaient l’arrivée d’une autre équipe.
Se glissant hors de son réduit, il s’assit sur une caisse et massa ses rotules douloureuses. Il attendit encore un bon moment que les retardataires et les fayots de toutes sortes aient disparu. Quand sa patience se fut épuisée, il traversa le hangar désert et s’arrêta derrière les portes qui donnaient sur la terre ferme. Elles se trouvaient juste en face du milieu du Su-cattra.
Il sortit une mine de sa valise, régla la minuterie sur une vingtaine d’heures et fit passer un filin dans la poignée. Il jeta un coup d’œil rapide à l’extérieur. Pas une âme sur le quai, mais quelques matelots s’affairaient sur le pont supérieur du bateau.
Il franchit hardiment les dix mètres qui le séparaient du bord et lâcha la mine dans l’eau qui se trouvait entre la coque et le quai. Elle produisit un bruit sec d’éclaboussure, puis s’enfonça rapidement. Elle était maintenant à deux mètres cinquante sous la surface et elle ne s’accrocha pas immédiatement. Il tortilla la corde pour que le côté aimanté se tourne vers la coque. La mine se fixa rapidement avec un claquement sonore qui dut retentir dans tout le gros bâtiment. Il lâcha prestement un bout de filin, tira sur l’autre et récupéra le tout.
Au-dessus de lui, un marin s’avança jusqu’au bastingage, s’appuya dessus et baissa les yeux. Mowry lui avait alors tourné le dos et marchait tranquillement en direction du hangar. Le matelot le regarda entrer dedans, fixa le ciel, cracha dans l’eau et retourna à sa tâche.
Peu après, Mowry répétait son exploit avec le Su-limane. Cette mine-là possédait aussi une minuterie qu’il régla sur vingt heures. Le claquement métallique attira de nouveau une attention distraite qui amena trois marins jusqu’au bastingage. Mais ils n’aperçurent personne et n’y pensèrent plus.
Mowry se dirigea alors vers la grille de sortie. Il rencontra en route deux officiers qui revenaient à leur navire. Absorbés par leur conversation, ils ne lui accordèrent pas même un regard.
C’était un policier différent qui était de garde lorsque Mowry passa.
« Longue vie !
— Longue vie ! » lui fit écho le flic dont l’attention se dirigea aussitôt ailleurs.
Après une longue marche sur la route et arrivant au coin de la grille du quai 3, Mowry aperçut le parking… et s’arrêta. À cent mètres de lui, sa voiture se trouvait exactement là où il l’avait laissée ; mais son capot était relevé et deux policiers en uniforme farfouillaient dans le dynomoteur.
Ils avaient dû déverrouiller une portière à l’aide d’un passe-partout afin de tirer sur la manette qui libérait le capot. Le fait qu’ils se soient donné cette peine signifiait qu’ils n’étaient pas seulement en train de faire du zèle. Ils étaient sur une piste.
Battant en retraite derrière le mur, Mowry réfléchit rapidement à la question. De toute évidence, ils cherchaient le numéro de série du moteur. Dans une minute, l’un d’eux ramperait sous la voiture pour contrôler le numéro de son châssis. Ce qui laissait entendre que les autorités avaient fini par se rendre compte que la voiture de Sagramatholou avait changé de plaques minéralogiques ; ils avaient donc reçu l’ordre d’inspecter toutes les voitures de cette année et de ce modèle.
Juste devant lui, invisible à partir du parking, était arrêtée une voiture de patrouille. Ils avaient dû la laisser là dans l’intention de la faire ensuite avancer de quelques mètres pour l’utiliser comme poste de guet. Une fois satisfaits de l’identité de la dyno, ils reviendraient l’attendre dans l’ombre.
Prudemment, Mowry jeta un coup d’œil de l’autre côté. L’un des flics parlait d’un air excité tandis que l’autre griffonnait sur un carnet. Il faudrait bien une minute avant qu’ils ne reviennent, car ils devaient refermer le capot et reverrouiller la dyno en vue d’appâter le gibier.
Certain qu’aucun passant ne s’inquiéterait de ce qui était fait avec aplomb, Mowry actionna la poignée de la voiture de patrouille. Elle était verrouillée. Il n’avait pas de clé pour l’ouvrir, pas le temps de la crocheter, ce qui suffit pour le dissuader de prendre une voiture à la place de l’autre.
Il ouvrit sa valise, en sortit la mine de rechange et régla sa minuterie sur une heure. Il s’allongea sur la chaussée, se glissa rapidement sous le véhicule et colla la bombe au centre du châssis en acier. Il s’extirpa de sous la voiture de patrouille et se brossa avec les mains. Sept personnes l’avaient vu agir ; aucune n’avait considéré qu’il faisait quelque chose d’extraordinaire.
James Mowry récupéra sa valise et s’éloigna à une vitesse un tout petit peu moins rapide que celle d’un coureur à pied. Un peu plus loin, il s’arrêta et regarda en arrière. L’un des policiers était maintenant assis dans la voiture et utilisait la radio à ondes courtes. L’autre était invisible et devait s’être posté là où il pouvait surveiller la dyno. De toute évidence, ils transmettaient la nouvelle que la voiture disparue avait été retrouvée, et appelaient de l’aide pour l’encercler.
Les événements le poussaient à nouveau dans ses derniers retranchements. Il avait perdu la voiture sur laquelle il comptait tant et qui lui avait été si utile. Tout ce qu’il possédait maintenant, c’étaient des faux papiers, son pistolet, une grosse liasse de fausse monnaie, et une valise qui était vide si l’on exceptait ce qui était relié à sa serrure.
Il se débarrassa de la valise en l’abandonnant à l’entrée de la porte principale. Cela ne contribuerait guère à calmer les esprits. La découverte de sa dyno avait averti Alapertane que l’assassin de Sagramatholou était dans ses murs. Alors qu’ils s’asseyaient pour se préparer à le piéger, une voiture de police allait s’éparpiller dans tous les azimuts. Ensuite, quelqu’un allait très poliment ramener une valise perdue au commissariat le plus proche ; un flic allait essayer de l’ouvrir et faire des lieux un beau gâchis.
Alapertane serait déjà à demi éveillée. Beaucoup plus tard, l’explosion en pleine mer de deux de ses cargos allait la réveiller pour de bon et la mettre sur le pied de guerre ; il lui fallait se débrouiller pour en sortir avant qu’ils ne copient la stratégie pertanoise et que des troupes n’encerclent toute la ville.